clause de non-concurrence
AVIS de M. KEHRIG, Avocat général
Contrairement à la plupart des législations européennes aucun texte de portée générale ne réglemente, en droit français, les clauses de non-concurrence. C'est donc votre jurisprudence qui en a façonné le régime juridique, au fil de nombreux arrêts prenant en compte, de manière diverse, des impératifs contradictoires tels que les intérêts de l'entreprise, le principe de la libre concurrence et celui de la liberté du travail.
Les sept pourvois dont vous êtes aujourd'hui saisis pourraient vous offrir l'occasion de donner un tour nouveau à cette jurisprudence qui s'est déjà profondément renouvelée, au cours de la dernière décennie marquée, d'ailleurs, par l'introduction dans le Code du travail de l'article L. 120-2 aux termes duquel : "nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché".
La pratique de ces clauses - qui tendent à se banaliser - est fort ancienne. Prévues, la plupart du temps dans le contrat de travail ou la convention collective, elles interdisent au salarié, à l'issue de son contrat de travail - par licenciement ou démission - de se mettre au service d'une entreprise concurrente ou de s'établir à son propre compte.
On sait que ces clauses suscitent, parfois, l'étonnement du juriste (1) car elles produisent des effets de droit précisément au moment où les obligations contractuelles sont éteintes sans, de surcroît, qu'il soit distingué, en général, selon le mode de rupture du contrat ou son motif : démission, licenciement du fait du salarié ou licenciement économique (2)... et plus tard, éventuellement, licenciement sans cause réelle et sérieuse...
Elles sont, en second lieu, fortement critiquées :
-d'un point de vue
juridique d'abord, il leur est, notamment, reproché de porter
atteinte à la liberté du travail (3)
;
-d'un point de vue
social, ensuite, nombre de spécialistes estiment inadmissible,
particulièrement, en période de crise de l'emploi, que l'auteur
d'un licenciement puisse interdire au salarié, licencié et
chômeur, d'exercer son activité dans le champ de ses compétences
;
-d'un point de vue économique, enfin, il est souligné que la clause de non-concurrence est malthusienne puisqu'elle interdit au salarié de travailler dans le domaine où il est le plus performant.
Sous l'influence, sans doute, de ces critiques et de la pression des juges du fond votre abondante jurisprudence a pris, de plus en plus, en compte l'émergence du principe de la liberté du travail.
À la vérité, ce principe, profondément ancré dans nos mentalités et présenté par les juristes comme un principe fondamental de notre droit est quelque peu négligé par la doctrine et fort mal traité par le droit positif.
En effet, en dehors
des études relativement récentes de Gérard Couturier
et de Jean Rivero (4) il faut remonter au traité
élémentaire de législation industrielle de Paul Pic, publié
en 1922, pour trouver une analyse d'ensemble de la liberté du travail,
liberté qui n'est d'ailleurs qu'un des rameaux de la liberté professionnelle,
l'autre rameau étant la liberté d'entreprendre.
Par ailleurs, cette liberté n'est guère mieux traitée en
droit international et en droit interne.
Certes, au plan international, la Charte sociale européenne révisée (C.S.E.) signée à Strasbourg le 3 mai 1996 prévoit notamment l'obligation pour les parties de "protéger de façon efficace le droit pour le travailleur de gagner librement sa vie par un travail librement entrepris" (5)
. Mais il n'existe pas de contrôle juridictionnel de l'application de cette Charte.
D'autre part, la liberté
du travail ne fait pas partie, en tant que telle, des droits protégés
par la Convention européenne des droits de l'homme, sous réserve
de l'inventivité du juge européen et de sa jurisprudence
Airey du 9 octobre 1979 (6) selon laquelle
"nulle cloison étanche" ne sépare la
"sphère des droits économiques et sociaux"
du domaine de la Convention, étant observé que si ladite Convention
"énonce pour l'essentiel des droits civils et politiques
nombre d'entre eux ont des prolongements d'ordre économique et social".
Quant au droit interne, aucun texte ne consacre directement
et sans ambiguïté la liberté
du travail salarié.
Au vrai, celle-ci n'a jamais été expressément proclamée.
Elle a seulement été déduite de l'article 7 du décret
d'Allarde des 2 et 17 mars 1791, abolissant les corporations et rendant possible
l'institution du marché du travail en énonçant qu'il "sera
libre à toute personne de faire tel négoce ou d'exercer telle
profession, art ou métier qu'elle trouvera bon".
Une formulation plus moderne du principe de la liberté professionnelle figure dans un arrêt du Conseil d'État du 22 juin 1963 qui le définit comme "le libre accès à l'exercice par les citoyens de toute activité professionnelle n'ayant fait l'objet d'aucune limitation légale".
Quant au Conseil constitutionnel, il n'a pas, pour l'heure, consacré nettement la liberté du travail (7), le préambule de la Constitution de 1946, repris par celui de la Constitution de 1958 n'énonçant que le principe d'un droit au travail sans, cependant, affirmer expressément la liberté du travail, puisqu'il se borne à déclarer que "chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi".
C'est seulement dans deux textes de valeur législative, l'article L. 412-1 du Code du travail et l'article 431-1 du Code pénal que se trouve affirmé de façon incontestable mais indirecte le principe de la liberté du travail. Le premier de ces textes dispose que "l'exercice du droit syndical est reconnu dans toutes les entreprises dans le respect des droits et libertés garantis par la Constitution de la République, en particulier de la liberté individuelle du travail".
Quant au second, il sanctionne pénalement l'inobservation de cette liberté.
Cependant, au terme
d'une sensible évolution pendant la dernière décennie
votre Chambre a reconnu la valeur constitutionnelle de la liberté du
travail (8).
Le premier tournant de votre jurisprudence se situe au début des années
quatre vingt dix. Jusque là vous considériez "qu'une
clause de non-concurrence est, en principe, licite et ne doit être annulée
que dans la mesure où elle porte atteinte à la liberté
du travail en raison de son étendue dans le temps et dans l'espace, et
quant à la nature de l'activité de l'intéressé".
L'employeur n'avait donc pas à rapporter la preuve de la licéité
d'une telle clause (9) qui était considérée
comme valable dès lors qu'elle n'était pas trop étendue
et n'interdisait donc pas au salarié de retrouver un emploi.
Mais il a fini par vous apparaître que les limitations temps - espace
- activité prohibée (10) n'étaient
que des "indicateurs (...) de l'équilibre établi par la clause"
(11) et vous en êtes arrivés à
contrôler l'opportunité de la décision
du chef d'entreprise d'imposer au salarié une clause de non-concurrence,
passant ainsi du contrôle de l'étendue de la clause à
celui de sa légitimité (12).
Vous avez franchi ce pas, en 1992, avec votre arrêt Godissart (13)
(dit du laveur de vitres). Désormais vous exigez, pour admettre la validité
d'une telle clause, qu'elle soit indispensable à la protection
des intérêts légitimes de l'entreprise. Cette formule
a, d'ailleurs, été reprise et transposée dans vos trois
arrêts du 11 juillet 2000 (14), relatifs
aux clauses d'exclusivité des V.R.P., bien que l'atteinte à la
liberté du travail portée par de telles clauses soit potentiellement
moins grave que celle des clauses de non-concurrence qui peuvent aller jusqu'à
l'interdiction, certes provisoire, mais néanmoins totale d'une
profession sur un territoire donné (15).
Depuis l'arrêt du laveur de vitres vous avez continué à progresser sur la voie d'une jurisprudence de plus en plus restrictive (16). Tout récemment (17) vous avez jugé qu'est nulle la clause incluse dans un contrat de travail aux termes de laquelle l'employeur se réserve la faculté, après la rupture, d'imposer (18) au salarié une obligation de non-concurrence ce qui reviendrait à le laisser seul juge de l'opportunité de l'atteinte portée à la liberté du travail de son salarié.
D'autre part, la clause
de non-concurrence est tellement exorbitante que vous n'avez
pas voulu que, de surcroît, lorsqu'elle peut être admise, en l'état
de votre jurisprudence, l'employeur puisse la faire varier à
sa guise .
Mais votre arrêt le plus marquant est sans doute l'arrêt
Martinez (19), du 19 novembre 1996.
Dans cette décision, vous avez non seulement repris la formule de l'arrêt
Godissart mais, en outre, vous avez fondé cette position réitérée
sur une assise juridique plus explicite puisque votre décision a été
rendue au double visa de l'article 7 de la loi des 2-17 mars
1791 et du principe constitutionnel de la liberté du travail.
À la lecture de cet arrêt, un commentateur aussi avisé que
le professeur Couturier a pu noter qu'on "voit bien que la validité
des clauses de non-concurrence a cessé d'avoir valeur de principe"
(20) et souligner que désormais ce sont
la liberté du commerce et de l'industrie et la liberté du travail
qui sont premières, les clauses qui, par définition, apportent
des restrictions à de telles libertés ne pouvant être
qu'exceptionnellement admises lorsqu'elles sont tout à fait
indispensables pour sauvegarder l'entreprise vis-à-vis de risques
particuliers, identifiés et avérés,
notamment des risques de détournement de clientèle ou de divulgation
de savoir-faire. Encore faut-il que la portée de la clause soit proportionnée
à la mesure de tels risques.
L'arrêt Martinez n'est pas resté un arrêt isolé puisque, par la suite, vous avez à de nombreuses reprises fait référence dans vos décisions, de cassation ou de rejet, "à l'article 1134 du Code civil, (à) l'article 7 de la loi des 2-17 mars 1791 et (au) principe constitutionnel de la liberté du travail" (21) pour protéger cette liberté, non seulement, d'ailleurs, des clauses de non-concurrence mais aussi des clauses d'exclusivité - comme nous y avons déjà fait allusion - et de certaines techniques contractuelles de fidélisation du personnel (22)
* * *
En cet état de votre jurisprudence, les espèces qui vous sont aujourd'hui soumises par les sept pourvois pourraient vous conduire à adopter un positionnement clair, sous réserve des déclarations de plusieurs ministres du Travail qui seront évoquées plus loin :
-ou bien, vous décidez
de mener à son terme logique votre jurisprudence Martinez, en condamnant
le principe même des clauses de non-concurrence (I) ;
-ou bien, en élargissant votre contrôle de proportionnalité de ces clauses, vous posez, pour l'employeur, une obligation générale de contrepartie financière (II).
L'éventuelle
consécration du principe de la nullité des clauses de non-concurrence
Soulignons, tout d'abord, que la condamnation de principe des clauses de non-concurrence - si vous faites ce choix - ne devrait concerner que les clauses de non-réembauchage lorsqu'il n'est pas établi, par l'employeur, que la nature particulière de l'activité de l'entreprise et de l'emploi du salarié les rend nécessaires.
En revanche, cette condamnation
ne devrait pas affecter les clauses qui se bornent à interdire à
un salarié, de créer, après son départ de l'entreprise,
une entité économique concurrente (23).
Mais ces dernières clauses doivent être interprétées
strictement (24). C'est ce que vous permettront
de rappeler les pourvois inscrits sous les nos 5, 6 et 7
du rôle de cette audience.
Dans ces affaires, trois salariés avaient démissionné de
la société qui les employait et avaient été engagés
par une société concurrente. Par les trois arrêts attaqués
la cour d'appel d'Aix-en-Provence les a condamnés, pour infraction à
la clause contractuelle de non-concurrence les liant à leur employeur,
au motif que cette clause qui portait interdiction d'exploitation directe ou
indirecte d'une activité concurrentielle emportait interdiction pour
le salarié d'accepter un emploi similaire dans une entreprise concurrente,
non créée par lui.
Le moyen unique de cassation pris en sa première branche fait valoir,
à juste titre, que cette clause n'interdisait pas aux intéressés
une activité de salariés après leur démission.
Ces trois décisions doivent donc être cassées, la Cour ayant
méconnu le principe de l'interprétation stricte des clauses de
non-concurrence, en étendant à la liberté du travail
une clause qui ne concernait que la liberté d'entreprendre.
* * *
Dans l'affaire n° 2 (Sté Go Sport) la clause de non-concurrence interdisait à la salariée d'entrer au service, en France et pendant un an, d'une entreprise ayant pour activité principale ou secondaire la vente au détail de vêtements et matériel de sport grand public, alors qu'elle était âgée de 54 ans et avait 20 ans d'expérience professionnelle dans ce secteur.
La cour d'appel de Paris, par l'arrêt attaqué, a déclaré nulle et non avenue cette clause en estimant qu'elle interdisait à la salariée de retrouver un emploi conforme à son expérience professionnelle, sauf pour elle à s'expatrier.
C'est cette affaire qui pourrait vous permettre de prolonger votre arrêt Martinez, précité, en énonçant la nullité de principe des clauses de non-concurrence ou en tout cas leur inopposabilité au salarié - lorsqu'elles portent atteinte à la seule liberté du travail. Vous pourriez, en outre, pour faire bonne mesure, rappeler qu'en cas de faute au préjudice de son ancien employeur, commise par le salarié dans son nouvel emploi, celui-ci devrait en répondre, alors d'ailleurs, que l'entreprise bénéficie de la protection de la loi pénale, en cas de divulgation des secrets de fabrication ou de corruption d'employé.
Ainsi serait fortement posé le principe que toute clause de non-concurrence portant nécessairement atteinte à la liberté du travail est nulle, sauf exception lorsque l'employeur rapporte la preuve que les règles de la concurrence déloyale ne suffisent pas à protéger les intérêts légitimes de l'entreprise (25).
Si vous ne faites pas
ce choix radical et si, néanmoins, vous voulez rénover votre jurisprudence
il vous reste la possibilité de resserrer votre contrôle - ponctuel
- de proportionnalité mais, surtout, de subordonner la validité
de l'obligation de non-concurrence post contractuelle à l'existence d'une
contrepartie financière afin d'inciter l'employeur à ajuster
l'amputation de la liberté du salarié à la seule impérieuse
nécessité de protection de l'entreprise (26).
L'éventuelle extension du contrôle de proportionnalité et l'exigence d'une contrepartie financière à l'obligation de non-concurrence pour l'après contrat
Le contrôle de proportionnalité - notion empruntée au droit
communautaire - est, aujourd'hui, exercé, non seulement par votre chambre
sociale, au regard de la liberté du travail, mais aussi par la chambre
commerciale, au regard de celle du commerce et de l'industrie (27).
L'arrêt Godissart, précité, est la meilleure illustration
du recours à ce principe pour limiter la liberté contractuelle
et de son côté, le législateur l'a consacré par l'article
L. 120-2, également précité.
La mesure de la proportionnalité doit être faite concrètement, au cas par cas, ce qui vous amènerait sans doute, un jour, - si vous n'optez pas pour la nullité de principe des clauses de non-concurrence - à trancher le problème de l'opposabilité de la clause au salarié licencié pendant la période d'essai ou "trop vite pour qu'il ait eu le temps d'acquérir un savoir faire ou un contact avec la clientèle utilisables par un concurrent" (28)...
L'exercice de ce contrôle
de proportionnalité vous conduirait, bien sûr, à sanctionner
par la nullité pure et simple de la clause l'absence totale d'intérêt
légitime.
Mais, la plupart du temps, la clause apparaîtra seulement excessive et
la réduction sera, alors, la sanction normale (29).
C'est dans cette voie que vous vous êtes engagés, par un arrêt
du 25 mars 1998 (30), en admettant qu'une cour
d'appel ait "pu décider qu'il y avait lieu de réduire le champ
d'application géographique de la clause aux seuls départements
dans lesquels (l'intéressé) avait exercé effectivement
ses fonctions".
L'arrêt attaqué par le pourvoi inscrit sous le n° 8 du rôle s'insère dans la ligne novatrice de cette décision. Les juges ont, en l'espèce, limité la validité de la clause de non-concurrence d'un chargé de mission du GAN Vie aux seuls clients qu'il lui avait apportés, après avoir relevé que la clause litigieuse constituait, en raison de la spécificité de l'activité professionnelle de l'intéressé, de son âge et de la composition de sa famille, une entrave à sa liberté de travailler.
Cet arrêt qui affine encore le contrôle de proportionnalité nous paraît donc devoir être approuvé.
Cependant, quelque poussé qu'il soit, le contrôle de la proportionnalité présente le grand inconvénient de laisser le salarié dans l'incertitude sur l'étendue de ses obligations et, donc, d'entraîner un important contentieux.
Plus énergique
et sans aucun doute modératrice serait l'exigence par votre Chambre d'une
contrepartie financière à l'obligation de non-concurrence après
expiration du contrat de travail, exigence qui figure déjà dans
la plupart des législations des Etats membres de l'Union européenne
(31).
Mais en l'état actuel du droit positif français alors pourtant
qu'une telle obligation fait peser sur le salarié une contrainte qui
peut être lourde, dans un contexte économique de reprise supposant
une grande mobilité, ni la loi, ni la jurisprudence ne prévoient
de contrepartie pécuniaire à son profit.
Bien au contraire, votre
jurisprudence est fermement fixée dans le sens du refus de soumettre
la validité de la clause de non-concurrence à l'existence d'une
contre-prestation fournie par l'employeur (32).
Jusqu'à présent vous avez toujours estimé qu'à défaut
de convention collective ou de clause particulière du contrat de travail
l'employeur ne doit au salarié aucune contrepartie à l'engagement
de celui-ci de ne pas travailler dans un secteur concurrentiel (33).
Cette jurisprudence
semble être mal acceptée par les juges du fond (34)
et elle est critiquée par de nombreux auteurs (35)
qui soulignent (36) qu'elle heurte, d'abord,
un souci d'équité : "le salarié ne saurait être
privé de son libre droit au travail sans compensation" (37)
et que, d'autre part, alors que les conventions collectives prévoient
presque toujours, dans une telle hypothèse, le versement d'une indemnité
compensatrice, il peut paraître choquant que seuls les salariés
dont la relation de travail n'est pas régie par une telle convention
et qui, la plupart du temps, ne bénéficient pas d'une protection
sociale étendue, en soient privés (38).
Enfin, est-il observé, sur le plan strictement juridique, votre doctrine
semble difficilement conciliable avec le principe fondamental du droit des obligations
selon lequel la validité d'une obligation suppose l'existence d'une cause.
D'autre part, au milieu des années 1980, l'attention du ministre du Travail, de l'Emploi et de la Formation professionnelle, du garde des Sceaux, puis du ministre de l'Emploi et de la Solidarité a été appelée sur cette question par des parlementaires. Dans sa réponse de 1985 (39), le ministre du Travail a indiqué "qu'il apparaît souhaitable d'assurer, en toute hypothèse, une légitime compensation aux salariés qui voient ainsi limiter leurs possibilités d'emploi" et précisé que "dans cet esprit le Gouvernement étudie actuellement les mesures propres à garantir une juste contrepartie aux salariés pendant la période d'interdiction de la concurrence". Ainsi les services du ministère du Travail avaient-ils envisagé d'harmoniser le droit positif non seulement avec la législation applicable en Alsace-Moselle (40) mais également avec celle en vigueur dans certains Etats membres de l'Union européenne (41). Mais l'étude de ce projet semble avoir été mise en sommeil depuis 1990 "compte tenu des priorités définies par le Gouvernement". Par ailleurs, dans une autre réponse du 3 septembre 2001, le ministre estime "que toute proposition dans le domaine des clauses de non-concurrence doit faire l'objet d'une étude et d'une concertation approfondie avec les organisations représentatives des employeurs et des salariés afin de dégager une véritable solution qui permettra de concilier au mieux les intérêts des entreprises et la nécessité de préserver pour tous les salariés privés d'emploi un véritable accès au marché du travail".
En l'état de
cette prise de position très récente, il nous paraîtrait
opportun de renvoyer le jugement des affaires qui vous sont aujourd'hui déférées
jusqu'à ce que le parquet général ait pu utilement prendre
contact avec les services du nouveau ministre du Travail ou, encore, jusqu'à
ce qu'il ait pu consulter les organisations syndicales, ouvrières et
patronales, comme il l'avait fait lors de l'examen par votre Chambre des clauses
d'exclusivité (arrêts précités, 11 juillet 2000).
Si, cependant, vous estimez qu'il convient de statuer, sans retard (42),
vous pourriez aussi envisager, outre la solution examinée au I. de ces
conclusions, de remodeler votre oeuvre jurisprudentielle en appliquant strictement
les règles du droit contractuel et en revenant donc sur votre refus de
considérer l'existence d'une contrepartie financière comme nécessaire
à la validité de l'obligation de non-concurrence post contractuelle.
En ce sens, on peut, d'ailleurs, citer l'un de vos arrêts récents,
l'arrêt Lemaire, du 2 février 1999, non publié (43)
par lequel vous avez approuvé la décision d'une cour d'appel déclarant
nulle une clause de non-concurrence, après avoir relevé que ladite
clause "qui n'était pas assortie d'une contrepartie financière,
portait manifestement une grave atteinte à la liberté de travailler
du salarié en raison de sa durée excessive et de son étendue
(...)".
Cet important revirement de jurisprudence pourrait avoir lieu à l'occasion de l'examen des affaires nos 3 et 4.
On peut noter, en faveur
de cette solution :
-qu'elle suivrait
la voie tracée par le législateur lui-même, avec l'article
L. 120-2 du Code du travail,
-qu'elle serait en
harmonie avec la pratique suivie par de nombreuses conventions collectives,
-qu'elle serait susceptible
de réduire le contentieux en incitant les employeurs à ne
recourir qu'à bon escient aux clauses de non-concurrence,
-qu'elle répondrait, enfin, aux critiques doctrinales et à la réticence des juges du fond, ci-dessus évoquées.
Si, malgré tout, vous ne souhaitez pas, non plus, franchir cette étape, une autre possibilité s'offrirait encore à vous : vous pourriez, dans l'affaire n° 4, poser le principe que l'atteinte à la liberté du travail, sans contrepartie financière, justifie une indemnisation qu'il appartient au juge du fond d'évaluer.
* * *
Au bénéfice
de ces observations, nous concluons donc, en définitive :
-à titre principal,
au renvoi des affaires 2 à 8 du rôle de cette audience, aux
fins ci-dessus indiquées,
-subsidiairement à l'abandon de la jurisprudence refusant de subordonner la validité de la clause de non-concurrence pour l'après contrat à l'existence d'une contrepartie financière.
1. A. Mazeaud, Droit du travail, Montchrestien, 2e édition, p. 251.
2. Cf. Rép. Min. J.O Ass.nat., 25 mars 1985, p. 1326.
3. J. Pélissier, Revue de droit.social 1990, p. 21 ; Y. Serra, Encycl. Dalloz v° Concurrence ; Pélissier, Supiot, Lyon-Caen, Droit du travail, précis Dalloz.
4. Encyclopédie Dalloz, v° Liberté du travail, rubrique reprise ensuite par Jean Savatier.
5. Le contrôle de l'application de la Charte est organisé dans des conditions comparables àcelles de l'O.I.T. (rapports des Gouvernements, commissions d'experts, système de réclamationscollectives ouvert aux syndicats de salariés et organisations d'employeurs représentatives).
6. Cf. également "Le respect d'un délai raisonnable : une exigence renforcée par la Cour européenne des droits de l'homme dans les litiges du travail", note J.P. Marguénaud etJ. Mouly, sous CEDH 14 novembre 2000, Delgado c. France, D. 2001, p. 2787.
7. Cf., cependant, sa décision du 28 mai 1983, AJDA 1983, p. 619, note Le Bris ; voir aussi
C. Radé,Rev. dr. soc. 2000, p. 646. Th. Revet, Le droit du travail dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, éd.Economica 1999, 62 ; B. Mathieu et J.Y. Frouin, Le juge social et la Constitution in "Soixantième anniversaire de la chambre sociale de la Cour de cassation 1938-1998, document fr. 2000, p. 137 ; V. Bernaud, "Les droits constitutionnels des travailleurs", thèse dactylographiée Aix, 322 et s. ; J. Savatier, Rev. dr. soc. 1998, p. 194 ; G. Lyon-Caen, "La jurisprudence du Conseil constitutionnel intéressant le droit du travail", D. 1989, p. 289 et suivantes.
8. V. Bernaud, op. cit., p. 322 ; A. Bugada, Droit constitutionnel appliqué, aperçu sélectif de la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation (année 2000), Rev. fr. du droit constitutionnel, p. 781 et s.
9. Voir la jurisprudence analysée par G. Lyon-Caen et J. Pélissier, "Les grands arrêts de droit du travail", p. 235.
10. dont vous n'exigez pas le cumul.
11. J. Amiel-Donat, note sous Cass Soc., 14 mai 1992, JCP 1992 21889.
12. Cf. N. Gavalda, "Les critères de validité des clauses de non-concurrence" Bull. V, n°309, JPC 1992 II 21889, note Amiel Donat ; D. 1992, 350, note Y. Serra.
13. Bull. V, n° 309, JCP 1992 II 21889, note Amiel Donat ; D. 1992, 350, note Y. Serra..
14. n° 3318 FS - P + F.
15. J. Mouly, Rev. dr. soc. 2000, p. 1143.
16. G. Couturier, Rev. dr. soc. 1997, p. 95.
17. Soc., 12 février 2002 (n° 611 FSP).
18. 28 avril 1994, RJS n° 607.
19. Rev. dr. soc. 1997, p. 95.
20. Cf., toutefois, les observations, plus réservées, de J. Savatier sous l'arrêt Sté Doutaves N. Bernard c. Heuby, du 18 décembre 1997, Rev. dr. soc. 1998, préc.
21. 18 décembre 1997, Rev. dr. soc. 1998, note Savatier, préc. ; 10 février 1998, (arrêt 705 D) ; 10 mars 1998 (1298 P) ; 7 avril 1998 (1955 P) ; 2 février 1999 (572 D) ; 22 mars 2000 (1463 D) ; 12 avril 2000 (obs. C. Radé) Rev. dr. soc. 2000, préc. ; 11 juillet 2000, Rev. dr. soc. 2000, obs. J. Mouly, préc. ; 28 février 2001 (792 D) ; 24 avril 2001 (1708 F.D).
22. Cf. A. Bugada, Rev. fr. de dr. constitutionnel, préc., p. 781 ; C. Radé, Rev. dr. soc.2000, préc. ; J. Mouly, note D. 2001, 263.
23. Sous réserve, en cas de contestation, de la vérification par le juge de l'existence d'un intérêt légitime de l'employeur : Cf. Y. Serra , Encycl. Dalloz v° Concurrence n° 42.
24. Soc. 29 juin 1999, R.J.S. 1999 n° 1253.
25. Cf, dans le même sens, Soc., 28 octobre 1997, J.C.P 1998 II 10092.
26. Cf. Y Serra, Encycl. Dalloz, préc, n° 40.
27. Cf. C. Champalaune, "le principe de la liberté du commerce et de l'industrie et de la libre concurrence, cinq ans de jurisprudence de la chambre commerciale", rapport annuel de la Cour de cassation 2001, p. 84 et s ; R. Vatinet, "les principes mis en oeuvre par la jurisprudence relative aux clauses de non-concurrence en droit du travail" Rev. dr. soc. 1998, p. 534 et s.
28. Cf. R. Vatinet, proc., p. 537.
29. Ibid. p. 538.
30. Rev. dr. soc. 1998, p. 545.
31. Y. Serra, Encycl Dalloz, préc., n° 40 et s.
32. Soc., 9 octobre 1985, D 1986.420, note Serra ; 11 oct 1990, Bull V, n° 459 ; 24 mars 1999, n° 9740422 ; 17 mars 1999, n° 95 42977.
33. Cf cependant l'article 74 du Code de commerce, applicable en Alsace-Moselle qui subordonne la validité de la clause de non-concurrence souscrite par un employé de commerce au versement d'une indemnité compensatrice par l'employeur.
34. CA Aix en Provence, 23 janvier 2001, J.S.L 13 sep. 2001, n° 86-2 note H.C Haller ; A. Chirez
35. Y. Serra, Enc. Dalloz, préc. nos 539 et s ; J. Pelissier, Rev. dr. soc. 1990, p. 21 ; J. Pelissier, A.Supiot et A. Jeammaud, Droit du travail, 2è édition, précis Dalloz 2000, n° 259 ; D. Corrignan-Garsin, "la contrepartie pécuniaire de la clause de non-concurrence",R.J.S 1992, p 587 et s ; D. Boulmier, note Dalloz 2001.
36. Y. Serra, note sous Soc., 9 octobre 1985, préc., p. 421.
37. G. Camerlynck, Droit du travail, cité par Y. Serra.
38. Y. Serra, note sous 9 octobre 1985, préc., p. 421.
39. Rép. min 25 mars 1985, préc
40. Rép. min. n° 27524, J.O. AN. Q. 3 juillet 1990, p. 3553 ; D. Vincent, Clause de non-concurrence, J.C.P. Travail, Fasc. 18-25, n° 53.
41. Rép. min. J.O. Ass. Nat. 3 septembre 2001, p. 5058.
42. Cf. J.P. Marguénaud et J. Mouly, précités.
43. n° 597 D, pourvoi U 97-40.356