GROUPE de SOCIÉTÉS & RELATIONS INDIVIDUELLES de TRAVAIL
 

 

   
1. LE RAPPORT DE SUBORDINATION  
   
Le développement des groupes de sociétés a multiplié le nombre des salariés qui, simultanément ou successivement, exécutent leurs prestations pour des sociétés liées.  
Les problèmes rencontrés par ces salariés ont été résolus par la jurisprudence ou par le droit conventionnel, car la loi ne se préoccupe pas spécialement des relations individuelles de travail exercées dans les groupes de sociétés, sauf dans le cas particulier du salarié mis à la disposition d'une filiale étrangère.  
La question pratique qui se pose est de savoir : à qui le salarié pourra réclamer en justice l'exécution de ses droits ?  
Le principe jurisprudentiel est que c'est le rapport de subordination qui désigne l'employeur.  
   
a. JURISPRUDENCE  
     I) Le critère formel  
Rejetant le principe qui considère comme employeur la société qui a recruté le salarié et le rémunère, la jurisprudence recherche dans chaque cas : quel a été l'employeur réel du salarié, en se référant à l'exercice effectif du pouvoir de direction et de contrôle qui caractérise la qualité patronale ;  
ainsi, la Cour de cassation admet qu'il puisse exister un contrat de travail entre un salarié et un employeur autre que celui que l'acte désigne : lorsque la société visée donne, directement ou indirectement, des instructions au salarié (Cass. Soc. 17 février 1987 ; Cass. Soc. 7 mai 1987).  
     Il) L'unité économique et sociale  
La jurisprudence conclut parfois à une dualité d'employeurs lorsque le salarié, embauché par une société puis muté auprès d'une autre, a conservé cependant certains aspects du rapport de subordination à l'égard de la première société (Cass. Soc. 8 octobre 1981) ou lorsqu'une société s'immisce dans l'autorité qu'une autre société exerce sur ses salariés (Cass. Soc. 30 mai 1980 ; Cass. Soc. 22/01 1992).  
Il arrive même que lorsque plusieurs sociétés poursuivent un même objet économique avec des moyens humains, techniques et matériels profondément liés, les juges concluent à l'existence de sociétés confondues et, sur cette base, permettent au salarié d'assigner soit l'une quelconque de ces sociétés, soit plusieurs d'entre elles, chacune méritant à son égard la qualification d'employeur (Cass. Soc. 3 février 1983 ; Cass. Soc. 19 novembre 1986).  
   
b . LE MAINTIEN Éventuel DU LIEN ANTÉRIEUR  
Les droits fondamentaux du salarié sont sauvegardés lorsque la mise à disposition de celui-ci, auprès d'une autre société du groupe, n'entraîne pas disparition des liens avec l'employeur originaire.  
Tel est le cas lorsque le salarié continue à recevoir des ordres de son premier employeur ou lorsque les sociétés, employeurs théoriquement successifs, se trouvent en réalité entièrement confondues ;  
dans ces deux hypothèses le contrat de travail originaire subsiste avec tous ses avantages :  
                 le salarié conserve notamment son ancienneté (Cass. Soc. 04/01 1978)  
                 ou bien le bénéfice d'un usage applicable dans la première société (Cass. Soc. 23 mai 1966).  
Lorsque les sociétés sont confondues, la jurisprudence permet même au salarié de réclamer à l'une ou à l'autre des sociétés en cause le paiement intégral de ses créances (Cass. Soc. 24 mars 69 ; Cass. Soc. 26 novembre 75).  
Il n'en va pas de même dans l'hypothèse où les liens unissant le salarié à son employeur originaire disparaissent ;  
placé sous la seule subordination du nouvel employeur, dans le cadre d'un nouveau contrat de travail, le salarié ne peut en principe exiger de celui-ci le strict respect de droits acquis auprès d'un autre employeur  
S'il arrive quelquefois que la jurisprudence admette que le salarié conserve, par accord au moins implicite, le bénéfice de l'ancienneté acquise, notamment au regard du calcul du montant de l'indemnité de licenciement (Cass. Soc. 18 novembre 1982), la solution est d'application malaisée et ne peut, en tout cas, permettre le maintien automatique des avantages conventionnels (Cass. Soc. 7 novembre 1973 ; Cass. Soc. 4 juin 1987).  
Un certain nombre de conventions collectives se sont préoccupées du problème et ont prévu, en cas de " mutations " ou " transferts ", le maintien des droits acquis au service du précédent employeur ;  
à défaut de telles dispositions, le maintien des droits acquis ne peut être vraiment garanti que dans le cadre d'un accord de transfert de salarié conclu entre le salarié et les deux sociétés en cause (Cass. Soc. 25 février 1988 décidant que le défaut de réintégration par la mère après licenciement par la filiale peut alors équivaloir à un licenciement dépourvu de cause sérieuse).  
   
2. LE SALARIE DÉTACHÉ AUPRÈS D'UNE FILIALE ÉTRANGÈRE  
Aux termes de l'article L. 122-14-8 du code du travail : " Lorsqu'un salarié, mis par la société au service de laquelle il était engagé à la disposition d'une filiale étrangère à laquelle il est lié par un contrat de travail, est licencié par cette filiale, la société mère doit assurer son rapatriement et lui procurer un nouvel emploi compatible avec l'importance de ses précédentes fonctions au sein de la société mère. Si la société mère entend néanmoins congédier ce salarié, les dispositions de la présente section sont applicables. Le temps passé par le salarié au service de la filiale est pris en compte pour le calcul du délai-congé et de l'indemnité de licenciement ".  
                 Ce texte est d'application limitée :  
I) le salarié doit tout d'abord avoir été embauché par une société mère opérant en France, auprès de laquelle il a, par hypothèse, exercé des fonctions.  
Il) le recrutement d'un salarié par une entreprise en vue de son affectation immédiate auprès d'une filiale étrangère ne correspond pas aux prévisions du texte, le salarié n'ayant en quelque sorte aucun droit acquis au maintien d'une situation qui n'a pas existé (Cass. Soc. 18 décembre 1984).  
Ill) le texte ne joue pas si la société mère est étrangère (CA Paris 21C ch. 27 novembre 1986).  
IV) le détachement doit être effectué auprès d'une filiale étrangère.  
La jurisprudence n'a pas retenu un critère strict de la notion de filiale résultant de la détention de plus de la moitié du capital social ;  
elle a préféré utiliser un critère plus souple : celui du contrôle exercé par la société mère et est allée jusqu'à admettre que ce contrôle pouvait résulter d'une simple convention d'assistance technique (CA Aix-en-Provence 31 mars 1980).  
Mais encore faut-il, à défaut de participation au capital, que la société poursuivie se soit trouvée dans une position dominante à l'égard de la société employeur ou ait exercé un contrôle sur celle-ci cf. Cass. Soc. 23/01/91 n° 88-44.649 Z, inédit).  
   
3. LES ÉLÉMENTS D'INTÉGRATION  
C'est donc de l'examen des modalités relationnelles que le juge pourra attribuer (indifféremment) la qualité d'employeur à l'une des sociétés.  
Il s'agit en général de rechercher si les sociétés ont des " liens étroits ", voire sont confondues ; en fait :  
I) l'identité des dirigeants  
Il) et du siège social,  
Ill) l'existence de services communs,  
IV) une activité identique  
V) et tous autres indices  
peuvent révéler une " communauté d'exploitation, d'activité et d'intérêt " (Cass. Soc. 1er fév. 1961 ; 22 mai 1964 ; 8 déc. 1965 ; 24 mars 1969 ; 5 fév. 1975 ; 20 déc. 1977 ; 21 mars 1978 ; 3 fév. 1983 ; 16 juin 1988 ; 31 Oct. 1989 ;  
----------- voir aussi a contrario :  
Cass. Soc. 22 déc. 1978 ; 18 avril 1980 Vobriou c. Sté Innoxa ; 22 mars 1982 ; " communauté d'intérêt insuffisante pour qu'un salarié ayant des liens avec deux sociétés puisse en attaquer une troisième appartenant au groupe " Cass. Soc. 9 nov. 1983 Morin c/Sté Le Cézanne).